La médiation, une discipline à (re)découvrir

L’expert-comptable solutionne souvent des situations conflictuelles dans le cadre de ses missions. En combinant une formation adaptée avec ses connaissances poussées de l’entreprise, il peut parfaitement assurer la fonction de médiateur dans le monde des affaires. C’est la raison pour laquelle le Conseil de l’Ordre sensibilise régulièrement ses membres à cette discipline.

La réforme de la justice du 21ème siècle donne une place particulière aux modes alternatifs de règlement des différends, dont la médiation. Le médiateur apporte un regard extérieur et impartial sur un différend. Il est un tiers neutre dont la mission principale est de rétablir la communication entre les parties en conflit, les médiés. Si certains différends trouvent une solution en droit, d’autres relèvent de la relation privée et trouveront un dénouement plus satisfaisant avec un mode amiable de règlement. La médiation peut permettre de dénouer tout conflit et rétablir toute relation.

Le conflit est défini par une opposition d’opinions entre des personnes ou des groupes. S’il peut être source d’enseignement et avoir un aspect positif (il amène à se questionner sur la raison des sentiments qui nous animent et permet une prise de conscience de nos valeurs et besoins fondamentaux), il est le plus souvent réglé dans des rapports de force, peut dégénérer et avoir des conséquences particulièrement négatives. L’expert-comptable, à la fois chef d’entreprise et conseil de chefs d’entreprises, est souvent amené à rencontrer des situations conflictuelles dans l’exercice de ses missions, conflits internes (entre salariés, associés…) ou externes (conflits avec des clients, des fournisseurs ou conflits rencontrés par ses clients…). Les techniques de médiation lui serviront au quotidien dans la bonne gestion de son activité professionnelle. Parallèlement, en combinant une formation adaptée sur les techniques de médiation avec ses connaissances poussées de l’entreprise et de son environnement, l’expert-comptable est un professionnel qui pourra parfaitement assumer la fonction de médiateur dans le monde des affaires.
En situation conflictuelle, les modes alternatifs de règlement des différends, à l’inverse des procédures judiciaires, permettent de s’engager dans un processus structuré, confidentiel, court et peu coûteux.
Face à la volonté affichée par le Ministère de la Justice de voir se développer ces modes alternatifs, le mouvement de réforme de la justice du 21ème siècle précédemment évoqué tend à renforcer leur place et à rendre leur recours plus attractif. Ainsi, de nombreux textes ont fait leur apparition afin de simplifier leur accès et leur mise en œuvre. Une autre justice se met en place, une justice différente et complémentaire de l’existante.

La médiation avec la conciliation est un des modes alternatifs les plus répandus. Elle permet l’échange avec l’aide d’un tiers neutre, garant des règles de communication assurant le respect mutuel, le médiateur. Hormis la médiation, 5 autres modes de résolution des conflits existent :

  • La discussion et négociation directe
    Aucune intervention extérieure, les parties par l’échange trouvent seules une solution,
  • La conciliation
    Proche de la médiation, est parfois obligatoire dans certains cas (divorce, prud’homme…),
  • L’arbitrage
    Une personne extérieure tranche et prend la décision (la solution est imposée)
  • Le jugement
    Le juge, que les parties ne choisissent pas, rend une décision de justice qui s’impose aux parties, • La convention de procédure participative Mode plutôt récent qui suppose une convention écrite, conduite sous la forme d’une négociation entre parties et avocats dont l’assistance est obligatoire.

À l’origine du conflit, se cachent le plus souvent des malentendus ou des non-dits, des systèmes de valeurs de références différents, des intérêts différents ou des besoins non satisfaits. La médiation peut régler tout type de litige, qu’il soit économique, relationnel, juridique ou encore technique. Un de ses avantages essentiels par rapport au procès est de préserver l’avenir et donc les relations entre les parties en conflit. C’est particulièrement important dans la gestion des conflits familiaux mais aussi pour la poursuite des relations d’affaires.

Les avantages de la médiation

  • la souplesse du processus : les parties y recourent librement et l’arrêtent quand elles le souhaitent, Le médiateur peut rencontrer personnellement chaque partie, hors de la présence de l’autre : il n’est pas contraint de respecter le principe du contradictoire,
  • un temps réduit,
  • un coût réduit,
  • le maintien des relations pour l’avenir : le but du médiateur est de rétablir la communication,
  • la recherche et l’élaboration d’un accord par les parties elles-mêmes, au plus près des intérêts de chacun. Les parties gardent de ce fait la maitrise de leur affaire du début à la fin,
  • la confidentialité

La médiation peut cependant trouver des limites en fonction de la nature du conflit (les litiges, qui ne concernent que l’interprétation de la loi, ne relèvent pas de la médiation mais du jugement) ou de l’état d’esprit des personnes (les parties se retrouvant en médiation peuvent estimer que leur point de vue est le seul valable. Même si la médiation peut faire changer cette vision des choses, des personnes ne sont pas toujours en mesure de l’accepter).

De manière générale, tous les acteurs du monde des affaires ont un intérêt majeur à la médiation : l’expert-comptable, l’avocat, le notaire, le commissaire de justice, le chef d’entreprise ou encore le juge consulaire. Il existe deux sortes de médiation :

  • la médiation conventionnelle
    Un individu qui vit un différend ou un conflit peut faire intervenir un tiers indépendant et neutre, un médiateur, avec l’accord de l’autre partie, avant tout recours à une procédure judiciaire. L’objectif étant d’éviter à tout prix le procès, le jugement. L’enjeu pour médiateurs et centres de médiation est de faire la promotion de ce type de médiation car elle est initiée par les seules parties. L’acte est volontaire et suppose l’accord de toutes les parties et leur bonne foi. Pour favoriser son développement, l’introduction de clause de médiation dans les contrats est conseillée.
  • la médiation judiciaire
    Un juge peut, à condition que les parties l’acceptent, désigner un médiateur pour leur permettre de trouver un accord amiable. Le juge peut proposer la médiation à tout moment dans la procédure judiciaire. Il peut contacter lui-même un médiateur de manière indépendante ou faire appel à un centre de médiation qui désignera un médiateur.

Définition de la médiation

La médiation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle, est un processus structuré reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants qui, volontairement, avec l’aide d’un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, favorise par des entretiens confidentiels, l’établissement et / ou le rétablissement des liens, la prévention, le règlement des conflits.

Source : Code National de déontologie du médiateur

Les centres de médiation dans la région

Il existe plusieurs centres de médiation dans les Hauts-de-France. Le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Hauts-de-France entretient des liens étroits avec deux d’entre eux, le CeMRAD – Centre de Médiation et de Règlement Amiable des Différends qui œuvre sur le territoire de l’ancienne région Picardie et la CAREN – Cour d’Arbitrage de l’Europe du Nord sur le territoire de l’ancienne région Nord Pas-de-Calais.

Retrouvez ci-après l’interview croisée de leurs Présidents respectifs.

L’INTERVIEW CROISÉE

Jean BILLEMONT, Président de la CAREN (en photo, à gauche) & Hubert LEPERS, Président du CeMRAD (en photo, à droite)

Présentez-vous en quelques mots.

Jean BILLEMONT – Je suis avocat au barreau de Lille spécialisé en droit de la construction. Je suis par ailleurs depuis 2022, Président de la CAREN – Cour d’Arbitrage de l’Europe du Nord, dont le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables et la Compagnie régionale des commissaires aux comptes Hauts-de-France sont membres du Conseil d’Administration, aux côtés d’autres institutions : la Chambre de Commerce et d’Industrie Grand Lille, la Chambre régionale de Commerce et d’Industrie, l’Ordre des avocats au Barreau de Lille, Nord Médiation, la Chambre Interdépartementale des Notaires du Nord Pas-de-Calais et l’Université de Lille. La CAREN a également pour membres des syndicats patronaux tels que le Medef et la CGPME.

Hubert LEPERS – Je suis expert-comptable et commissaire aux comptes à Amiens et je partage mon temps entre des missions de commissariat aux comptes, d’expertise-comptable et d’évaluation d’entreprise au service d’une clientèle diversifiée de PME et d’associations. J’ai obtenu le D.U de médiateur en 2018 durant la formation initiée par l’Ordre des experts-comptables en partenariat avec la Chambre des Notaires et dispensée par l’IFOMENE, l’Institut de Formation à la Médiation et à la Négociation. Je suis depuis fin 2023 Président du CeMRAD, le Centre de Médiation et de Règlement Amiable des Différends dont le siège est à Amiens.

Comment fonctionne le centre de médiation que vous présidez ?

Jean BILLEMONT – La CAREN comporte une liste de médiateurs composée de professionnels diplômés d’une formation en médiation qui travaillent conjointement avec le comité de médiation, un organe « interne » chargé d’intervenir en appui des médiateurs, constituant les 2 piliers de l’organisation. Ce comité propose pour chaque litige un médiateur, intervient comme une ressource extérieure en cas de difficultés dans le déroulement de la médiation et veille au respect du règlement. La neutralité de la médiation est aussi assurée par ce règlement. Les médiés, qui doivent être des personnes décisionnaires, font appel à la CAREN, généralement par une démarche volontaire, pour avoir l’aide d’un tiers impartial et solutionner un conflit sans passer par la voie des tribunaux.

Hubert LEPERS – Notre centre est une association créée en 2017 rassemblant les 3 professions libérales, les experts-comptables, les notaires et les commissaires de justice. Il a pour objet la mise en place du recours à la médiation judiciaire et conventionnelle. Nous disposons d’un secrétariat qui centralise toutes les demandes de médiation. De ce fait, nous avons pu établir des process de désignation des médiateurs qui nous permettent d’être particulièrement réactifs afin de respecter l’un des avantages de la médiation : la rapidité. Notre centre fixe les modalités d’intervention des médiateurs et assure la gestion administrative des médiations en-cours. Il assure également la formation permanente des médiateurs en leur donnant accès à des groupes d’analyses de pratiques. En adhérent au CeMRAD, le médiateur s’engage à promouvoir la discipline notamment à travers la participation à des événements. C’est dans ce cadre que nous avons participé au Campus régional au Touquet en 2022 puis à Arras en novembre 2024.

Quelles sont les attentes, les motivations qui ont suscité votre intérêt à la médiation ?

Jean BILLEMONT – Notre organisme a été créé à l’origine par la CCI et l’Ordre des avocats en tant que centre d’arbitrage avec l’objectif d’offrir un service aux entreprises de la région transfrontalière. Initialement compétente uniquement en matière d’arbitrage, la CAREN s’est développée et spécialisée en médiation parce que l’on s’est aperçu qu’il existait une complémentarité évidente. La médiation est une alternative à la justice étatique dont le retour sur investissement est très avantageux : moins coûteux, plus rapide et permettant bien souvent de préserver la relation entre les parties en explicitant mieux leurs besoins. La possibilité de jouer alternativement entre ces 2 partitions que sont l’arbitrage et la médiation porte tout l’intérêt de ce mode de règlement des litiges encore malheureusement sous-exploité et pourtant réellement efficace.


“La médiation est une alternative à la justice étatique dont le retour sur investissement est très avantageux.”
Jean BILLEMONT


Hubert LEPERS – L’opportunité de pouvoir restaurer la paix sociale, qui, selon l’expression de Paul RICOEUR, est la perspective à long terme de la justice, à travers ma fonction de médiateur a été ma première source de motivation. La possibilité de rejoindre un centre rassemblant trois professions libérales en a été une autre. Cette interprofessionnalité en fait sa richesse : les notaires peuvent avoir dans leurs études des successions bloquées par des conflits familiaux et les experts-comptables ont parfois dans leurs clientèles des sociétés dont le développement se trouve entravé par des mésententes entre associés. Le regard extérieur que peut apporter nos professions est un atout pour résoudre ces situations de blocage car le médiateur n’est en aucun cas un expert en charge de solutionner le litige mais un facilitateur de dialogue, les médiés restant maîtres de la solution à trouver.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux experts-comptables qui s’intéresseraient à la discipline ?

Jean BILLEMONT – Au-delà des compétences en matière de conseil et d’accompagnement que les experts-comptables pourraient apporter en tant que médiateurs, le rôle de la profession est d’envisager la discipline comme un service à rendre aux clients et cela en raison de ses nombreux avantages comparés à d’autres procédures. Elle doit davantage s’informer et étudier le bon usage de la médiation pour pouvoir être prescripteur et la considérer comme une pratique indispensable dans certaines situations. C’est d’abord en ce sens que la profession peut se positionner, comme un réel vecteur de communication pour les centres de médiation !

Hubert LEPERS – Je ne peux qu’encourager mes consœurs et confrères à nous rejoindre : la richesse de la formation du D.U. de médiateur axée sur la gestion des émotions et les techniques de communication leur seront fortement utiles tant sur le plan professionnel que personnel. D’autre part, que ce soit en devenant médiateur ou en étant prescripteur, ils contribueront à l’émergence d’une justice participative novatrice plus efficace pour le règlement des conflits.

Les centres de médiation en quelques chiffres

CAREN
1 permanente à temps complet
10 médiations par an en moyenne
30 médiateurs représentant 60% d’avocats, 20% de chefs d’entreprise et 20% de magistrats & commissaires aux comptes
Taux de réussite : 50 à 70%

CeMRAD
1 permanente à temps partiel
25 médiations par an en moyenne dont 20 judiciaires et 5 conventionnelles
22 médiateurs représentant 12 notaires, 5 commissaires de justice, 3 experts-comptables, 1 Juriste et 1 Consultante RH
Taux de réussite : 75%

Et la conciliation dans tout ça ?

La médiation et la conciliation sont des notions qui sont souvent confondues. Elles ont en effet de nombreux avantages communs tels que la rapidité du processus, la préservation des relations ou encore la confidentialité. Elles se distinguent pourtant par un élément important. Si le médiateur favorise la communication, il permet de renouer le dialogue lorsqu’il a été rompu, il n’intervient pas de manière active dans la solution du litige, ce sont les parties elles-mêmes qui trouvent la solution. Le conciliateur, en revanche, peut proposer des solutions aux parties. Dans tous les cas, ces tiers sont impartiaux, indépendants, qualifiés et possèdent des qualités d’écoute, d’ouverture d’esprit et d’analyse.

L’INTERVIEW

3 questions à Xavier VERACX, Président de la commission Déontologie et Conciliation

Comment fonctionne la commission que vous présidez au sein du Conseil régional de l’Ordre ?

La commission répond aux interrogations des experts-comptables sur nos règles déontologiques et contribue à la résolution des différends entre experts-comptables et clients ou entre experts-comptables. Notre intervention consiste à faciliter la reprise du dialogue et, si les parties ne trouvent pas d’elles-mêmes un accord, à proposer une conciliation. Je coordonne les travaux de la commission en lien avec les permanents de l’Ordre et les conciliateurs qui sont aussi élus du Conseil. Nous traitons principalement les litiges d’honoraires ou des problématiques de transmission de documents. À partir du moment où la responsabilité civile professionnelle de l’expert-comptable est engagée, la commission ne peut intervenir.

Comment se déroule une conciliation ?

Nous privilégions les conciliations en présentiel, davantage adaptées à la facilitation des échanges, même si la visio-conférence peut être envisagée en cas d’éloignement. L’idée est que les parties puissent s’exprimer librement et exposer leur point de vue, puis avec l’aide du conciliateur, trouver un terrain d’entente. Comme la médiation, c’est une solution peu coûteuse et rapide qui permet la plupart du temps de trouver un accord qui préserve les intérêts de chacune des parties. Le rendez-vous dure en moyenne 1 heure et demie. La présence du représentant légal de chaque partie est essentielle. Ils peuvent se faire assister d’un avocat mais pas se faire représenter. La procédure est confidentielle et le conciliateur est soumis au secret professionnel.

Quel(s) message(s) la commission souhaite transmettre aux experts-comptables ?

Tout d’abord, ils doivent évidemment porter une attention toute particulière à bien respecter nos règles déontologiques, et en particulier la procédure de reprise de dossier et l’exercice du droit de rétention. Il est essentiel de favoriser les échanges en amont de la conciliation et en particulier lorsque des difficultés apparaissent. La plupart des litiges naissent d’une incompréhension et d’un manque de communication. Avant de saisir la commission, j’invite les experts-comptables à tenter de trouver un accord gagnant-gagnant avec leurs clients.

Le code de déontologie des experts-comptables favorise la recherche d’une solution amiable !

En cas de contestation par le client ou adhérent des conditions d’exercice de la mission ou de différend sur les honoraires, les experts-comptables s’efforcent de faire accepter la conciliation avant toute action en justice (extrait de l’article 159 du Code de déontologie des experts-comptables – décret du 30 mars 2012)

Pour saisir la commission d’un litige, un formulaire est disponible sur le site internet oec-hdf.com ou sur simple demande par mail à litiges@oec-hdf.com.